jeudi 17 décembre 2009

Blanche foncée

La nuit est blanche si on sait la regarder de près.

La nuit est pâle comme si elle était prise d'une torpeur encore plus effrayante que toutes celles qu'elle inspire.

La nuit est sans couleur presque diaphane, on la distingue sans plus, du premier coup d'oeil, on la blesse, mais elle reste blanche.

Peu importe le nombre de coups d'oeil qu'elle peut recevoir, le sang ne viendra jamais teinter sa pâleur intangible.

Elle reste donc immaculée sans que l'on sache vraiment pourquoi.

On demeure à ses côtés en espérant qu'elle tourne doucement au gris et qu'elle reprenne de dégradé en dégradé sa majesté d'ébène.

Mais la nuit est blanche même quand on ferme les yeux, elle est d'une blancheur attendrissante.

Et jamais le sommeil ne vient, on a depuis longtemps cessé de l'attendre, car la nuit est blanche, à quoi bon dormir si la nuit est blanche, il vaut mieux rester debout au risque de tomber, il vaut mieux se faire dévorer en entier par la fatigue que de ne pas remarquer que la nuit blanchit avec les heures.

Et on en vient à avoir peur du blanc, on en arrive à regretter le noir.

Pour tous ceux qui n'ont plus peur du noir, mais qui craignent maintenant le blanc à cause de la nuit, sachez que là où je suis, là où tout est musique, une blanche vaut deux noires...

mercredi 16 décembre 2009

Happy birthday

Il n’y a rien à faire, c’est sans cesse la même histoire, on ne peut plus rien y faire, car ce sera toujours cette même histoire…

Il faisait froid en cette soirée de décembre, il faisait très froid, mais entre ses jambes la douce chaleur de sa peau ne laissait jamais présager le pire, cette douce tiédeur qui reposait entre ses cuisses, cette douceur apaisante qu’on allait à jamais m’interdire, préparait le berceau d’une condamnation inachevée.

Il faisait noir en cette soirée de décembre, il faisait très noir puisque dans son ventre l’obscurité absolue régnait en maître et souverain, une noirceur immaculée protégeait cet antre blotti entre ses reins. Rien ne semblait prédire que tout allait s’achever.

Il se fit tard en cette soirée de décembre, il se fit trop tard, car dans l’attente, l’imprévisible douleur assécha le ventre, une douleur mouvante s’empara de cet antre qui laissait entrevoir pour la première fois une fissure qui allait m’achever.

Il faisait toujours très froid en cette soirée de décembre, il faisait de plus en plus froid puisque tout se mit à descendre vers ce refuge enceint par ses jambes, vers cette lumière meurtrière que je touchais pour la première fois de mes membres.

Il ne faisait plus tout à fait noir en cette soirée de décembre, il ne faisait plus seulement noir, car le monde m’accueillait au milieu de ses cendres comme une ruine encore frêle qui dans cette soudaine clarté ne sait que pleurer et tremble.

Il se fit alors à jamais trop tard en cette soirée de décembre, puisque la fin ne se faisait plus attendre, elle s’annonçait déjà à travers chaque respiration comme une longue agonie qui constamment risque de s’achever avec la saison.

C’est toujours la même histoire, celle qui se continue, il y aura bien d’autres soirées de décembre, encore davantage envahissantes, menacées par l’inconcevable, encore en proie à l’irrémédiable achèvement qui ne cesse de se faire de plus en plus pressant.

Et la suite des choses blesse et meurtrit, et ne laisse jamais sa victime sans un cri, au passage, elle écorche et le tumulte se fait vaste, tout près, elle s’approche assassine de ses seules mains chastes.

Vous me demanderez peut-être alors comme on l’a déjà fait, pourquoi je ne mets pas un terme à cette vie qui est mienne. Je pourrais vous répondre que c’est parce que j’aime, même si ce ne fut jamais réciproque. Je pourrais vous répondre que puisque la mort est certaine, le fait de choisir d’attendre qu’elle vienne est le même que d’adopter tous les gestes qui la provoque. Mais la véritable justification serait de vous dire que je ne considère pas l’intention volontaire de mourir principalement pour pouvoir vous prouver à la fin que c’est moi qui avais raison.

mardi 15 décembre 2009

Mâle à lame

J'ai pris quelques minutes de mon dîner pour sortir un peu de mon bureau et goûter à cette lumière revigorante... j'avais pour mission d'infiltrer cet antre de la testostérone à bon prix et j'ai bien sûr nommé Canadian Tire. Rien de moins.

Mon ami Denis m'avait fait une petite liste d'épicerie de choses à me procurer pour être en mesure de réparer la minifourgonnette cette semaine, et j'ai bien appris ma leçon.

Je ne devais surtout pas être démasqué. Je me devais d'agir comme un habitué, un vrai de vrai, un gars de "chawre" qui pisse deboutte sans se laver les mains après...

Je n'avais malheureusement pas eu le temps de revêtir un costume approprié, je n'avais que ma tenue habituelle, sobre, propre... tout devra être dans l'attitude.

En marchant dans le stationnement presque bondé, je jetai un dernier regard à ma liste afin d'en mémoriser chaque élément, je ne devais montrer aucune hésitation.

En m'approchant de la porte d'entrée, je me demandai quelle allure je devais prendre... devrais-je me traîner les pieds et renifler un bon coup à intervalles réguliers... pas le temps de réfléchir, les portes s'ouvrent automatiquement... Ah! la technologie, elle nous fera damner.

Denis m'avait expliqué où était chaque chose dans le magasin, donc sans hésiter, je bifurque à gauche aussitôt entré... des cannisses jaunes... des cannisses jaunes... mes yeux cherchent dans toutes les directions pendant que ma tête reste immobile pour ne pas attirer l'attention.

Le commis est loin derrière son comptoir, mais je sens que ses yeux sont posés sur moi. Il s'interroge. Ah! les cannisses jaunes! Euréka! Oups, je crois que je l'ai dit tout haut. C'est sûrement un mot que ces gens ne comprennent pas. Ils vont me suspecter, je le sens. Vite, faisons diversion... je cherche, je cherche... rien ne me vient... je me passe machinalement la main au visage... Ah! Non! Merde, je suis fraîchement rasé de la veille, rien pour m'aider. Nerveusement, je prends la première cannisse jaune qui me tombe sous la main et je me mets à lire l'étiquette à l'endos. C'est exactement ce que je cherche! Comme le hasard fait bien les choses.

Liquide refroidisseur maintenant. Rappelle-toi qu'ici, on appelle ça du Prestone. Par chance, ils classent les cannisses par couleur sur les tablettes, donc le "Prestone" était juste à côté. Deux 4 litres et le tour était joué... pas tout à fait, jeune homme, me dis-je. Il restait à réaliser le plus périlleux... c o m m a n d e r l e t h e r m o s t a t a u c o m p t o i r.

Je m'approche du commis en reluquant les articles sur les tablettes et faisant semblant de m'y intéresser. Il ne me regarde pas, bon signe. Très bon signe. Je dépose mon troupeau de contenants jaunes sur le comptoir avec aplomb et lui demande d'un ton un peu désintéressé: "Thermostat. Dodge Caravan 1996..." Je n'ai pas eu le temps de terminer ma phrase qu'il m'informe que je dois m'adresser au comptoir voisin pour commander des pièces... Erreur de débutant. J'ai presque honte, mais je me ressaisis en souriant et en mentionnant qu'il y avait belle lurette que je n'avais pas mis les pieds ici et qu'avant, ce n'était pas disposé de la même façon. Il m'avait l'air jeune. Probablement, pas encore né quand le magasin fut construit. Donc, anecdote plausible. Un piège d'évité.

Je me dirige donc à l'autre comptoir et attends le commis qui est occupé à servir une autre personne. J'attends nonchalamment, faisant quelques pas à gauche, puis quelques pas à droite... Je remarque tout à coup que mes bottes sont maculées de calcium... yes! j'ai l'air d'un vrai. J'y pense tout à coup, je suis généreusement garni de pilosité sur la poitrine, ça c'est winner du poil sur le chest... mais je me retiens, en me disant que d'enlever mon manteau et détacher ma chemise ne ferait pas très naturel après tout...

Du coin de l'oeil, j'aperçois furtivement tel un chat guettant une proie qui n'est pas prévue au menu, un tableau qui dit : "Nous servons le numéro 8". Ah! non! Il fallait prendre un numéro! Je suis coincé. Je viens encore de perdre en crédibilité... mais je me souviens que mon anecdote de tout à l'heure rachetait aussi cette bévue. Sans le savoir, j'avais créé une anecdote béton qui pouvait me sauver bien des vies. Mais restons sur nos gardes. On ne sait jamais.

Le commis revint enfin derrière son comptoir... un autre client était accoudé à l'autre extrémité... J'aurais dû y penser avant, l'accoudement au comptoir, un classique... je prends des notes pour la prochaine fois, si prochaine fois, il y a, car il n'est pas certain que je m'en sortirai vivant. Le commis me regarde et me demande quel numéro ai-je... le 13... par chance, je ne suis pas superstitieux... l'autre client possède le 12... Ça me donnera un peu de temps, pour répéter ma routine dans ma tête...

Sans que j'aie eu le temps de faire une répétition complète, le commis se tourne vers moi et m'interroge du regard... je m'accoude au comptoir... rusé, le vieux loup... et lui demande d'un trait: "Thermostat. Dodge Caravan 1996..." Pour un 3 litres me demande-t-il du tac au tac... Sans même hésiter, je lui réponds que oui... le travail de préparation de la veille a porté fruits, je m'en félicite. Les heures de sommeil en moins auront été bénéfiques après tout... pendant qu'il entre les informations dans son ordinateur, je lui demande de me dire le prix avant de faire quoi que ce soit... Le gars y connaît son affaire, me félicitai-je. Il me confirme le prix, et précise le prix du gasket... je ne suis pas fier de moi, car ça faisait partie de mon vocabulaire testostéronien... gasket... j'aurais pu le sortir avant lui, j'aurais gagné beaucoup de points...

Il me remet l'arsenal et je peux enfin passer à la caisse... Ah! non! j'aurais dû y penser avant et m'apporter de l'argent comptant, ça paraît mal de payer avec sa carte de crédit... de l'argent tout froissé dans le fond de ma poche, c'est ce que ça m'aurait pris... et si j'avais eu de l'argent Canadian Tire par dessus le marché, ça aurait été impeccable. Mais il ne bronche pas un seul sourcils. Ma transaction est passée comme dans du beurre ou plutôt de l'huile. Il me demande si je veux un sac... j'hésite... c'est contre mes principes d'accepter les sacs dans les magasins, mais là, il ne faut pas que je trahisse ma véritable identité, je suis si près du but... J'accepte en me disant qu'au moins moi, je mettrai le sac à la récupération. Il me sourit, me remercie, et je suis libre de m'en aller.

Le soleil était toujours au rendez-vous lorsque j'ai remis les pieds dehors, comme pour acclamer ma délivrance. J'ai survécu et ai réussi ma mission... je me suis fait presque peur à moi-même. J'espère que cette expérience ne m'aura pas changé.

dimanche 13 décembre 2009

Tentation passagère

La tentation est forte.

Elle se plaît parfois à me tenir la main dans un geste où l’insouciance n’est jamais très loin.

Oui, la tentation est forte.

Après avoir respiré la volupté dans la nuque de celle qui ne fut plus jamais là, après avoir cru que le regard posé sur le bord de mes lèvres n’allait se détourner que pour se perdre dans le clos des paupières au frémissement d’un soupir expiré dans le froissement de la chair, après avoir dormi sans crainte et sans véritable remord dans la tiédeur d’une étreinte comme doivent dormir les morts au dernier repos d’une longue vie qu’on dira pourtant trop courte pour être brève, la tentation est forte, très forte même est la tentation de rester seul.

Tout seul.

De prime abord pour m’éloigner de la déception et de ses éternels complices qui rôdent sans cesse et sans répit, avec amertume pendant le jour et à regret quand vient la nuit.

Puis et surtout pour sentir cette douceur réconfortante de me savoir vécu et de me retrouver comme une vieille connaissance qu’on n’a jamais vraiment perdue de vue, et avoir tout à me dire, de balivernes en confidences en passant par les éclats de rire et le respect de chaque silence.

Mais la tentation est forte. Quand les femmes passent et qu’il n’y a plus rien qui tienne, quand elles nous désarment et que de chacune d’elles on voudrait faire sienne, il est vrai que la tentation est forte.

Mais encore plus forte est la tentation quand une seule femme passe et qu’on semble redécouvrir le monde et la vie qui le retient, quand le désir n’est plus un souhait, mais une évidence irréfutable, quand notre envie de rester seul est de le rester avec elle.

Encore plus forte est la tentation quand elle n’a plus à se plaire de nous tenir la main, au moment où une seule femme passe.

samedi 12 décembre 2009

En vin

Le goût du vin.

Le goût du vin me fait taire.

Mes lèvres abreuvées n'ont d'autres intérêts que de savourer la langueur de l'écoulement qui s'ébruite au bord de la bouche et qui déferle entre les dents, tout le long de la langue et jusqu'au fond de la gorge et encore.

Une seule lampée et le silence perdure des moments durant.

Une seule gorgée et le souvenir de sa trop courte existence se fait insistant jusqu'à la prochaine qui vient toujours un peu trop tard.

Je tente de retenir entre mes joues ce breuvage qui m'attire et m'attise, mais à chaque fois, j'avale toujours avec un certain regret de ne pas avoir su en extraire tout le plaisir et la douceur qui semblent pourtant infinis.

Et plus le silence persiste, et plus l'ivresse se propage, doucement, comme une caresse qu'on incruste dans la peau pour en garder la plus étoffée des impressions.

Mais malgré l'enivrement de tous les sens, l'inassouvissement semble imperturbable et insatiable.

Je bois donc encore.

Mais la quiétude des mots ne prend plus assise sur cet appétit éthylique qui vient souvent en buvant. La verve s'éprend du verbe et la langue entremêlée à travers les vapeurs impures de l'alcool se délie en rumeurs et en confidences.

Et je m'épanche vers des oreilles attentives, désinhibées par le flot venant de la même bouteille. Je me raconte et découvre ce que l'on me dit en retour. Et la pensée se fait chair, et chaque syllabe dissimule derrière ses sonorités le désir des chastes et l'envie des gourmands.

Le goût du vin frais à mes lèvres regrette celui des siennes que je contemple lorsque le silence vient aux miennes.

Mes mains déposées sur la table seraient prêtes à ne plus jamais toucher si elles pouvaient, ne serait-ce qu'une seule et même fois, étreindre le galbe de ses seins ou la courbe de ses hanches déferlantes en va-et-vient que je suivrais d'un mouvement oscillatoire jusqu'à ce qu'elle soit immobile entre mes bras, éperdue de nos égarements.

Mais la bouteille est vidée. Et mes doigts sont froids à ne plus savoir bouger. Une dernière parole et des adieux s'accrochent presque aux derniers mots. Elle quitte et ne revient pas. De ses yeux bleus, j'en garderai la pureté. De ses cheveux blonds, j'en regretterai les parfums. Malgré qu'elles ne soient jamais vraiment à chaque fois la même, j'aurai toujours le goût du vin qui me rappellera ce qu'elles auraient pu être si tout ça n'avait pas été en vain.

mercredi 9 décembre 2009

Neige

Il neige. Il a neigé. De l'autre côté de la fenêtre, je me suis vu à 4 ans, emmitouflé à ne plus savoir bouger, n'ayant que les yeux exposés à la bise et au frimas, aux grands vents et au verglas, aux rafales et aux flocons tout blancs, tout blancs.

Mon regard s'est perdu à maintes reprises ce soir à admirer cette valse cavalière qui cachait tout sous son voile dansant. Que j'aime l'hiver quand il est vraiment lui-même. C'est une histoire d'amour qui persiste et perdure, qui remonte à un si jeune âge qu'on ne peut même pas l'expliquer et à quoi bon y mettre des mots qui ne pourraient après tout que la raconter. Mais puisque je n’ai que les mots…

Sentiment de conquérant faisant affront au froid majestueux qui fige et qui glace. Et ce long foulard brun qui m'enrubannait presque des pieds à la tête, dans lequel je respirais et où mon souffle s'emprisonnait en une buée humide et « vaporisante » quand la course folle se terminait par un plongeon exutoire dans la congère amoncelée.

Et soudainement, il n'y avait que le silence. Le silence assourdissant de la neige immobile sous mon corps frêle et fragile, si léger et minuscule qu'il ne laissait pratiquement aucune marque dans la neige. Et ces bottes, brunes également, qui restaient parfois et souvent prisonnières quand ma jambe s'immergeait en entier dans l'immensité blanchie de ce tapis granuleux et étoilé. « Attendez-moi! Attendrez-moi! »... et on me laissait derrière, et je ne pleurais ni ne riais guère en me disant, tiens me voilà seul une autre fois. La solitude de l'hiver. Cette quasi obligation de se retourner en nous-mêmes quand la froidure frappe et que notre chair se contracte. Une introspection involontaire quand une armure épaisse nous coupe un peu plus du monde.

Et quand la noirceur commence à tomber, quand la neige semble à vue d’œil « s’engriser », et que les pas nous ramènent près de la chaumière maternante, quand la porte derrière nous se referme et que les joues sont rougies comme un brasier, quand surtout nos orteils et nos doigts picotent d'une engelure timide, quand la chaleur réconfortante du vestibule nous amène des odeurs du repas à venir et que les voix s'élèvent, car les enfants racontent les aventures nordiques dont les rumeurs reposent encore au bas de leurs pantalons en des galettes fondantes qui viendront bientôt humecter les gros chaussons de laine qui finiront dans le fond de la baignoire... Ah oui, vous ai-je dit que j'aime l'hiver?

Un frisson doucement passe, une secousse timidement frôle ma chair, assez pour faire clore mes yeux chastes qu'on n'a pas regardés pendant tout l'hiver... qui ne fait que commencer et pourtant… un frisson doucement a passé et mes yeux sont restés, sont restés fermés. Pour ne pas voir ce qui pourrait m'empêcher d'imaginer. Un sourire se fixe et les lèvres se sont séparées, mais elles se reparleront sans rancoeur aucune, elles attendront la prochaine clarté, la prochaine moiteur, écueil des baisers, vaine promesse s’il en est une. La musique cesse, mais résonne encore, un écho sans reste et pourtant elle a cessé, cette musique qu'on laisse, qu'on laisse nous murmurer à la lune pleine, cette douce rumeur qui derrière mes mots s'est enlisée, à la lecture même mène cette voix madrilène.

Si de ma fenêtre, je pouvais m'échapper, tomberais-je à la renverse ou serai-je allégé? Je tourne la tête et on me la fait tourner. Une porte entrouverte n'est pas à moitié fermée. Le soleil a revêtu sa mante grise, épaisse et vaporeuse... celle qu'il porte pour les grandes occasions, pour les moments heureux, et les filles heureuses. Ma main au fond de ma poche se terre et oublie sa comparse qui a les doigts froids, et lui laisse le labeur de dire, de dire à celle qu'elle ne voit pas, où est ton printemps qui quelques heures à peine brillait sous ton ciel qui est pourtant de mon côté le même? Ici, l'hiver persiste et je me sens seul, mais triste n'est pas mon coeur depuis que je sais qu’un cœur froid ne court plus de risques. Dis-moi, de ton printemps en as-tu au moins gardé un peu de tiédeur et ce qui traîne dans son sillage, l'as-tu recueilli ce bonheur? De ce jour, j'en ai gardé le plus tendre des souvenirs, oui je sais, je tremble et n'ai rien contre quoi me blottir, mais l'air est frais et me berce et soupire presque une caresse qui me tente et m'attire.

Oui, je sais, cet écrit d'autrefois porte en son sein la langueur d'un seul homme, l'homme que j'étais et qui s'est, entre autres, avoué aimé, mais qui fut soudainement, comme plusieurs avant moi, seul à le dire, à le croire, à le clamer. Tristesse profonde ou insouciance égarée, de ces années trop longues, je me suis consumé. Mon esprit s'est fait confident du coeur, et le corps à moitié oublié. J'ai peiné, oui, j'avoue et en fut épargné, comme tout homme qui passe, à vingt ans, j'ai aimé, à nouveau une impasse et j'ai cru y rester. Romantique dans l'âme, j'ai appris ma leçon, on apprend de ses drames même si parfois long est le souvenir d'une femme, ou même celui d’une simple chanson.

Pardonnez-moi, c’est ce que me fait l’hiver… c’est ce que l’hiver me fait… Pardonnez cette poésie soudaine et spontanée, poésie naïve et presque niaise, poésie qui n’est pas digne du terme, mais poésie quand même. J’espère qu’elle ne vous aura pas ennuyés, j’espère qu’elle ne vous ennuiera pas. Il est vrai que de la lire n’est pas une obligation, ne devrait pas l’être, tout comme le geste et l’intention d’écrire, car il ne faut jamais forcer les mots, que ce soit ceux qu’on reçoit ou ceux qu’on donne, il ne faut jamais forcer les mots. Ils viennent au moment opportun et s’ils ne viennent pas, c’est qu’ils ne devaient pas venir et que le silence est dans ces circonstances le meilleur allié de ce qui reste inavoué.

vendredi 4 décembre 2009

Entêtant

Parfois, j'aimerais avoir la tête vide.

Ne rien avoir en tête.

Être habité par l'absence comme si je m'oubliais moi-même, comme on m'a mille fois ignoré.

Parfois, j'aimerais ne plus savoir, ne plus connaître, jusqu'à ne plus me reconnaître.

N'avoir rien en tête.

Être habilité par l'ignorance à ne plus retenir ce qui n'a plus d'emprise sur moi.

Parfois, j'aimerais avoir la tête ailleurs.

Ailleurs où je ne suis pas.

Être nulle part ailleurs, là où il ne me resterait qu'à partir.
Pour me rendre à l'évidence.

Parfois.
Seulement parfois.

Parfois, lorsque l’attente est latente et que la patience est haletante.

Parfois, lorsque je ne m’y attends plus.

Lorsque je me laisse aller et que je n’y suis plus lorsque je me laisse revenir.

Et surtout lorsque je n’en reviens pas. Et que j’y reste presque.

Lorsque j’y laisse ma peau et que je prends une éternité à m’en remettre.

À ces moments-là, j’aimerais perdre la tête.

Ne plus avoir ma tête à moi.

Être pris au dépourvu et ne plus essayer de m’en sortir.

J’aimerais tant que plus rien ne me passe par la tête.

Ne plus avoir à me demander ce que j’ai derrière la tête.

Être à la dérive de l’insouciance à l’inconscience.

J’aimerais. Mais je n’en fais toujours qu’à ma tête.

mardi 1 décembre 2009

Sans voix

Le monde est vraiment petit.

Peut-être même trop petit.

On passe des années dans une minuscule pièce sombre à laisser s'échapper des musiques qui nous sont chères. On intercale ces ambiances sonores bien humblement de sa voix, afin que ces entités musicales soient identifiables et qu'elles puissent être repérées, car si jamais quelqu'un quelque part les entend, et qu'il désire les réentendre à nouveau, il doit pouvoir nommer ce qu'il a entendu. C'est ce qu'on se dit dans sa petite pièce sombre semaine après semaine.

Et après toutes ces années, on a vent d'une histoire, presque anecdotique pour certains, mais oh combien invraisemblable et troublante pour ma petite personne.

...

Il y a quelques années, Andreas quitte son Allemagne chérie pour visiter une amie en Suisse, dans la ville de Coire pour être plus précis, située dans la vallée du Rhin. Un soir, lui et Ricarda, se rendent dans une exposition d'arts vidéo, et au hasard des rencontres, ils croisent un vieil homme étrange, qui leur rappelle bizarrement Stockhausen (http://www.stockhausen.org/). Ricarda bavarde quelque peu avec lui et spontanément, le vieil homme les invite à son appartement. Sans méfiance, ils acceptent l'invitation volontiers. Après leur avoir fait faire le tour du propriétaire, le vieil homme les dirige vers une pièce tout au fond du couloir. Il ouvre doucement la porte, et l'impression que l'obscurité semblait habiter complètement cette chambre sans fenêtre s'estompa, lorsque le vieil homme alluma la lumière qui jaillit du plafond d'une timide ampoule sans abat-jour et sans éclat. La pièce ressemblait à une véritable voûte d'archives. Elle contenait une immense collection de mini-cassettes sur lesquelles étaient enregistrées des émissions de radio de partout à travers le monde. Le vieil homme leur confia qu'il n'avait pas confiance en la technologie numérique pour sauvegarder tous ces trésors.

Et ce soir-là, à la suite de cette rencontre improbable, Andreas et Ricarda entendirent ma voix pour la première fois.

Hier, Ricarda a téléphoné à Andreas et elle lui a appris que le vieil homme venait de mourir...

Le vieil homme est mort et a emporté le son de ma voix avec lui.

Je ne sais pas pourquoi, mais, depuis, les mots me manquent...

samedi 28 novembre 2009

Privation

Le rythme.

Le rythme parfois s'accélère et on a de la difficulté à le suivre.

Les heures passent en cavalcade et nous bousculent de leur impertinence et de leurs obligations sous-jacentes.

Particulièrement,il n'y a pas si longtemps, ces 48 heures qui n'ont pas fait exception à cette lancée ininterrompue qu'est la suite des choses.

En succession et amalgamation d'événements, de rencontres, d'usures, de hasards, d'égarements, de prévisions et de déceptions. Une en particulier.

Il ne viendra pas. Il n'y sera pas. Au détour d'une conversation, la nouvelle tombe, frappe et déçoit. Mais le désir de continuer, d'être fidèle aux envies initiales est toujours aussi vibrant. Malgré le tourbillon qui absorbe l'énergie et nous laisse diminués. Encore et encore. Tant tellement que la spirale semble sans fin.

Mais au moment où le souffle se fait de plus en plus court, la halte surgit. Bien que temporaire, bien qu'elle ne fera qu'empirer le retour de l'arythmie affolée des jours, la halte surgit. Et je me laisse freiner, je m'abandonne à la secousse de l'arrêt.

Le mouvement me mène là où je pourrai enfin m'attarder. Une table libre malgré la cohue qui sévit tout au fond là-bas, assourdissante de son humanité presque insouciante. L'ivresse est invitante et je succombe. Y a-t-il plus douce caresse pour les lèvres? Il y a bien eu les baisers de cette femme qui n'a fait que passer, bref épisode qui a quand même eu le mérite de faire naître une communion parfaite de nos bouches entrelacées qui n'est plus que souvenir, mais dont le goût exquis n'a jamais encore été égalé. Il y a au moins l'ivresse.

Une ivresse rougeâtre plongeant délicatement au fond de la gorge en une tiède étreinte réconfortante me faisant oublier la froideur des longues nuits passées sous les couvertures d'un trop grand lit vide. Comme la bouteille d'ailleurs.

Il me faut donc partir, car je suis attendu. Il nous faut donc quitter, car on nous attend. Mais puisqu'il est préférable de se faire désirer, pourquoi ne pas prolonger l'ivresse au passage de note fuite pédestre. Et un verre fut rempli, et un autre vint se résonner contre sa paroi pour souligner l'éphémère de ce moment et l'incertitude du suivant. Un seul verre. Un seul. Il ne faut pas abuser des bonnes choses, car elles pourraient crier vengeance.

Le vent froid du fleuve m'accueillit encore une fois presque pour me punir de ce vagabondage improvisé, me détournant de la destination tant convoitée depuis plus d'une semaine, malgré la déception encore soudaine de savoir qu'il n'y sera pas.

Et lorsque la seuil de la porte fut franchi, j'ai pu constater qu'il n'était pas le seul à ne pas y être. L'endroit était presque désert, scène désolante. Tous ceux qui avaient promis être de la partie avaient menti... ou ils avaient oublié qu'ils avaient promis. Mais au moins quelques visages familiers. Jean-Michel Jarre occupait l'espace sonore, et il ne nous restait plus qu'à s'installer pour ne pas manquer la première note. Celle qu'il faut entendre pour se savoir toujours vivant. Mais avant tout,il fallait rester fidèle à l'ivresse, il fallait entretenir cette seule maîtresse qui me quitte à chaque fois lorsque le matin vient. Autre déception, aucune bouteille ne portait le rouge dans son enceinte. En échange de quelques dollars, nous avons pu introduire une bouteille que nous avons acquise chez un marchand à quelques pas de là. Comme disait Baudelaire : "Enivrez-vous..."

La table était mise.

Clairsemés dans cette pièce rectangulaire, les spectateurs que nous étions attendaient avec fébrilité ce qui n'allait pas tarder. Le plancher de bois vieilli par les années et surtout par les regrets qui font faire les cent pas, se mit à craquer en préambule au concert auquel il ne participera pas. Les absents ont toujours tort.

Le plancher se tue, comme nous tous d'ailleurs, puisque la scène était habitée.

Une note.

La première.

Nous étions bel et bien vivants.

Et le rythme. Celui qui n'a rien à voir avec la percussion. Ce rythme. Celui qui est partout. Dans le mouvement, la continuité des saisons, les lignes d'une peinture, le souffle des mots, et surtout celui des silences. Le rythme. Celui qui m'a mené ici, celui qui me fera tout à l'heure partir et celui qui me fera regretter d'être parti.

Un oeuf frotté sur une corde... vagues sonores, réverbération inondant l'espace du vide, oscillation fantomatique à l'esprit tordu...

Le temps en suspension.

Et le plancher se mit à craquer de nouveau.

La scène désertée pour un instant, puis un seul homme, barbu à lunettes. Seul derrière ses machines. Un son à la fois. Il les capturait et les maintenait en vie. Chaque son superposé au suivant. Comme un artisan qui sculpte l'air de ces ondes. Qui vous fait respirer différemment. Qui vous fait oublier que vous respirez. Qui vous fait croire que vous n'avez plus besoin de la vie pour connaître la suite. Il fallait y être. J'y étais. Lui, pas.

Malgré moi, le temps avait passé, et la bouteille vide en était le gage. Un troisième craquement qui ramenait la déception en sachant très bien que c'était la dernière prestation et qu'il devait en principe y en avoir une quatrième. Nos regards encore une fois tournés vers la scène. Mes paupières se faisaient de plus en plus lourdes et le déferlement sonore, les courants planants et tourbillonnants me submergeaient dans un égarement sensitif imprévisible. Et l'effervescence s'estompa doucement, et les applaudissements, les derniers de la soirée. Car il n'y était pas.

Mais, on ne pouvait pas lui en vouloir. Il aurait voulu y être, mais la fin est arrivée plus tôt que prévu, et il se devait d'être au chevet de l'inertie, au milieu des siens, loin de nous. De ce petit groupe que nous étions, irréductibles, qui avions envisagé la soirée en pensant être privé d'un concert, le sien, mais qui avons en fait eu droit à un concert privé.

J'ai dormi sur les couvertures ce soir-là. Seul.

mercredi 25 novembre 2009

En proie

La fatigue.

Il me semble que la fatigue m'a guetté toute la journée.
En fait, dès le levé du corps, j'ai cru l'apercevoir au pied du lit, indolente et pourtant insatiable. Ses yeux posés sur moi ont soudainement alourdi le poids de ma chair qui de sa nudité se mouvait sans complaisance aucune.

Le fracas de l'eau en chute sur ma peau m'a donné l'impression de l'avoir écartée et d'en être pour de bon libéré. Mais petit à petit, épiant chacun de mes gestes, le moindre de mes déplacements, elle s'est abreuvée au sillon de mes pas et s'est voracement incrustée dans la traînée de mes va-et-vient de plus en plus hésitants.

L'ouverture de la porte m'a fait miroiter l'espoir de la semer une fois pour toute lorsqu'une brise, assez froide pour me ragaillardir le temps d'une expiration, s'est entremêlée à mes cheveux pour en recouvrir mon visage. Elle ne pourra plus me reconnaître, me suis-je dit. Mais, je ne sais que trop que si le chien du voisin s'est mis à aboyer bien après mon passage, c'est qu'il l'a vue déambulant à ma suite comme un cortège si lent et silencieux.

Debout, immobile, dans l'attente comme à chaque matin que le transport se fasse commun, j'ai décidé de l'ignorer comme un apprenti amoureux qui détourne le regard à chaque fois qu'il croise celle qui lui fait souhaiter qu'elle n'ait de yeux que pour lui. Mais puisque c'est en essayant d'oublier qu'on se souvient, mon subterfuge a été en vain.

Et les heures ont passé, et bien que j'essayais d'avoir la tête ailleurs, elle se faisait un devoir de me rappeler que le reste de mon corps était toujours en dessous. Elle était toujours là. Au bout du couloir, dans la cage d'escaliers, dans l'embrasure d'une porte, derrière l'attroupement d'étudiantes qui me font à chaque fois regretter mes jeunes années. Partout où j'allais, elle semblait deviner mon parcours. Partout où je voulais aller, elle semblait savoir comment m'en dissuader.

La journée n'était pas encore terminée que j'abdiquais. Je lui remettais les armes et la laissais prendre possession de mon corps en entier et d'une partie de mon esprit. Je dis bien une partie, car l'autre me permet de vous écrire, avec maladresse et insignifiance soit, mais de vous écrire quand même. Les yeux brulants devant l'écran qui ne renvoie aucun reflet, je n'ai comme seule certitude que tout à l'heure, j'irai dormir, car la fatigue s'est éprise de moi et ne me laissera pas tomber de si tôt, ou plutôt elle me laissera tomber d'elle-même lorsqu'il sera trop tard.

mardi 24 novembre 2009

Ce qui sourd de l'oreille

Si j’avais quelqu’un à qui parler, je ne dirais rien.
Je ne dirais rien si quelqu’un arrivait à me parler.
Il me semble que je n’ai plus rien à dire.
Tous les mots, je les ai dits.
Tous sans exception.
Je les ai dits et redits, mille fois plutôt qu’une.
Un seul à la fois et en bouquets touffus.
En murmures et sans même reprendre une seule fois mon souffle.
Je les ai tous expulsés de ma gorge, les laissant s’échapper entre mes lèvres.
Certains avaient un goût de miel, tandis que d’autres portaient une amertume encore plus empoisonnée qu’une lampée de cyanure passé la date d’expiration.
Plusieurs sont restés longuement sur le bout de ma langue, certains y sont revenus volontiers, passant la nuit entière à glisser vers une oreille attentive, d’autres ont été réticents et ont dû se faire prier pour revisiter mon palais.
Tous autant qu’ils sont, ma bouche a palpé chacun de leurs phonèmes avec délicatesse et parfois avec urgence comme lorsque l’on ranime un noyé qui ne voulait que boire la mer.
J’ai entendu chacun des mots que j’ai pu prononcer, je n’en ai pas manqué un seul.
J’ai reconnu ma voix parmi toutes les autres même et surtout dans le fracas de l’indifférence.
À l’occasion, j’ai écouté me dire et chaque fois, j’ai cru bon me taire.
Et cette fois, je crois que c’est la bonne.
Je crois que je ne dirai plus rien.
Rien d’autre.
Si j’avais quelqu’un à qui parler, je ne dirais rien.
Absolument rien.

Si j’avais quelqu’un à qui parler, je ne ferais que l’écouter.

lundi 23 novembre 2009

Vous m'en direz tant

Il me semble que si je m’écoutais, je ne dirais rien.
Je ne dirais rien, car il me semble que les mots ne veulent rien dire.
Les mots ne veulent jamais rien dire, c’est en fait ceux qui les disent qui ont quelque chose à dire.
Mais même si les gens ont quelque chose à dire, et que les mots ne veulent jamais rien dire, il me semble que trop souvent les personnes laissent les mots dire ce qu’ils veulent bien dire.
Comment savoir alors quand il faut non seulement écouter, mais croire ce que l’on nous dit?
Vous me direz probablement qu’il faut croire, les mots, comme les gens, seulement au moment où les mots sont dits, peu importe par qui.
Mais si le sens des mots ne dépasse jamais le moment précis de leur écoute, comment alors parler d’intention, est-ce que l’intention doit être nécessairement éphémère et qu’elle ne s’inscrit jamais dans la durée?
À quoi bon dire alors, je vous demanderai?
Ne vaut-il pas mieux se taire et garder nos intentions subites du moment dans le silence, jusqu’à ce qu’elles nous reviennent encore et encore, dans des instants et des lieux différents?
Que nos intentions nous bousculent et rapportent le même goût à nos lèvres, le même envie, le même désir, et alors, lorsque après avoir gardé nos intentions sous silence, ces intentions qui ont jailli spontanément sans crier gare, lorsque et seulement lorsque la même intention nous a trituré les entrailles encore et encore, et bien, à ce moment, peut-être qu’il faudrait dire, mais seulement à ce moment.
Car sinon, il me semble qu’il vaudrait mieux se taire, car on ne sait jamais qui pourrait entendre, et pire encore qui pourrait croire.
Il vaudrait mieux se taire, comme j’aurais dû le faire si je m’étais écouté.

dimanche 22 novembre 2009

Insectoriel

Libellule.

Le premier mot. Il ne doit jamais être choisi à la légère.

Donc, libellule.

Le mot. Celui que j'aime par dessus tout.

Libellule... 4 ailes comme l’insecte… musicalité légère comme un murmure, et les lèvres qui ne se touchent qu’une seule fois comme un doux baiser, et pour le reste, c’est la langue qui fait le travail. Une sensualité, une délicatesse…

J'aime les libellules. Et je dois dire que j'ai aussi un faible pour les demoiselles.

À vrai dire, j'aime les mots.

Les mots... Les mots se font timides... Mais pourtant, un seul apparaît et les autres se mettent à la file, non pas derrière, mais bien devant. Chaque mot veut être le premier, celui placé à l'extrême droite, mais ils se succèdent tous, chacun ayant besoin du précédent et surtout du suivant, peu importe la ponctuation, ils s'enchaînent selon le discours, vivant à chaque fois la grande déception pourtant attendue de ne pas être devant tous les autres...

Si les mots savaient que celui qui se retrouve sans personne après lui devient en fait le dernier mot, celui que tout le monde recherche pour se donner l'impression d'avoir raison, peut-être que les mots se contenteraient d'être placés là où ils sont insérés et qu'ils prendraient une certaine fierté de faire partie de ce qui a été écrit. Les mots se font peut-être timides, mais ils sont assurément prétentieux.

Les mots oublient trop souvent qu’ils sont composés de lettres et que sans elles, ils ne sont rien. En fait, sans un amalgame bien précis de lettres, ils ne sont rien. Qu’une seule de leurs précieuses lettres soit changée de place et les mots ne seront plus les mêmes. Ils deviendront incohérents ou encore, pire affront, ils changeront complètement de sens. Et alors, humiliation suprême que de se faire regarder par tous ses confrères qui le pointent du doigt et l’accusent d’être le grand responsable de dénaturer la phrase au complet. Car si les mots ne sont rien sans les lettres, la phrase n’existe pas sans les mots. Et la phrase, elle, n’existe guère sans le lecteur. Bien sûr qu’elle doit être écrite avant d’être lue cette phrase, mais c’est vraiment lorsqu’elle se fait déchiffrer par des yeux curieux qu’elle se met au monde, qu’elle prend vie, qu’elle prend tout son sens, le sens du lecteur. Car l’écrivain ne lui donne qu’une intention à cette phrase, le lecteur en comprendra ce qu’il veut ou peut bien comprendre, l’écrivain n’a alors aucun contrôle sur ce qu’il a pu écrire.

Vous comprendrez alors qu’il m’est inutile d’essayer de vous décrire qui je suis puisque peu importe si je tente de vous écrire qui je suis, je n’arriverai jamais à vous révéler la véritable nature de ma personne. Vous pourriez certainement en déchiffrer quelques parcelles, mais puisque vous ne pouvez être que de simples lecteurs, la perception que vous en aurez sera toujours biaisée par votre propre interprétation. Même ceux qui prétendent être passés maîtres dans le maniement de la dialectique ne pourront jamais tout à fait saisir l’essence même de ma personnalité en lisant tous les mots que je pourrais écrire. Mais malgré tout, je vous laisse le dernier mot…
 
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