mardi 15 décembre 2009

Mâle à lame

J'ai pris quelques minutes de mon dîner pour sortir un peu de mon bureau et goûter à cette lumière revigorante... j'avais pour mission d'infiltrer cet antre de la testostérone à bon prix et j'ai bien sûr nommé Canadian Tire. Rien de moins.

Mon ami Denis m'avait fait une petite liste d'épicerie de choses à me procurer pour être en mesure de réparer la minifourgonnette cette semaine, et j'ai bien appris ma leçon.

Je ne devais surtout pas être démasqué. Je me devais d'agir comme un habitué, un vrai de vrai, un gars de "chawre" qui pisse deboutte sans se laver les mains après...

Je n'avais malheureusement pas eu le temps de revêtir un costume approprié, je n'avais que ma tenue habituelle, sobre, propre... tout devra être dans l'attitude.

En marchant dans le stationnement presque bondé, je jetai un dernier regard à ma liste afin d'en mémoriser chaque élément, je ne devais montrer aucune hésitation.

En m'approchant de la porte d'entrée, je me demandai quelle allure je devais prendre... devrais-je me traîner les pieds et renifler un bon coup à intervalles réguliers... pas le temps de réfléchir, les portes s'ouvrent automatiquement... Ah! la technologie, elle nous fera damner.

Denis m'avait expliqué où était chaque chose dans le magasin, donc sans hésiter, je bifurque à gauche aussitôt entré... des cannisses jaunes... des cannisses jaunes... mes yeux cherchent dans toutes les directions pendant que ma tête reste immobile pour ne pas attirer l'attention.

Le commis est loin derrière son comptoir, mais je sens que ses yeux sont posés sur moi. Il s'interroge. Ah! les cannisses jaunes! Euréka! Oups, je crois que je l'ai dit tout haut. C'est sûrement un mot que ces gens ne comprennent pas. Ils vont me suspecter, je le sens. Vite, faisons diversion... je cherche, je cherche... rien ne me vient... je me passe machinalement la main au visage... Ah! Non! Merde, je suis fraîchement rasé de la veille, rien pour m'aider. Nerveusement, je prends la première cannisse jaune qui me tombe sous la main et je me mets à lire l'étiquette à l'endos. C'est exactement ce que je cherche! Comme le hasard fait bien les choses.

Liquide refroidisseur maintenant. Rappelle-toi qu'ici, on appelle ça du Prestone. Par chance, ils classent les cannisses par couleur sur les tablettes, donc le "Prestone" était juste à côté. Deux 4 litres et le tour était joué... pas tout à fait, jeune homme, me dis-je. Il restait à réaliser le plus périlleux... c o m m a n d e r l e t h e r m o s t a t a u c o m p t o i r.

Je m'approche du commis en reluquant les articles sur les tablettes et faisant semblant de m'y intéresser. Il ne me regarde pas, bon signe. Très bon signe. Je dépose mon troupeau de contenants jaunes sur le comptoir avec aplomb et lui demande d'un ton un peu désintéressé: "Thermostat. Dodge Caravan 1996..." Je n'ai pas eu le temps de terminer ma phrase qu'il m'informe que je dois m'adresser au comptoir voisin pour commander des pièces... Erreur de débutant. J'ai presque honte, mais je me ressaisis en souriant et en mentionnant qu'il y avait belle lurette que je n'avais pas mis les pieds ici et qu'avant, ce n'était pas disposé de la même façon. Il m'avait l'air jeune. Probablement, pas encore né quand le magasin fut construit. Donc, anecdote plausible. Un piège d'évité.

Je me dirige donc à l'autre comptoir et attends le commis qui est occupé à servir une autre personne. J'attends nonchalamment, faisant quelques pas à gauche, puis quelques pas à droite... Je remarque tout à coup que mes bottes sont maculées de calcium... yes! j'ai l'air d'un vrai. J'y pense tout à coup, je suis généreusement garni de pilosité sur la poitrine, ça c'est winner du poil sur le chest... mais je me retiens, en me disant que d'enlever mon manteau et détacher ma chemise ne ferait pas très naturel après tout...

Du coin de l'oeil, j'aperçois furtivement tel un chat guettant une proie qui n'est pas prévue au menu, un tableau qui dit : "Nous servons le numéro 8". Ah! non! Il fallait prendre un numéro! Je suis coincé. Je viens encore de perdre en crédibilité... mais je me souviens que mon anecdote de tout à l'heure rachetait aussi cette bévue. Sans le savoir, j'avais créé une anecdote béton qui pouvait me sauver bien des vies. Mais restons sur nos gardes. On ne sait jamais.

Le commis revint enfin derrière son comptoir... un autre client était accoudé à l'autre extrémité... J'aurais dû y penser avant, l'accoudement au comptoir, un classique... je prends des notes pour la prochaine fois, si prochaine fois, il y a, car il n'est pas certain que je m'en sortirai vivant. Le commis me regarde et me demande quel numéro ai-je... le 13... par chance, je ne suis pas superstitieux... l'autre client possède le 12... Ça me donnera un peu de temps, pour répéter ma routine dans ma tête...

Sans que j'aie eu le temps de faire une répétition complète, le commis se tourne vers moi et m'interroge du regard... je m'accoude au comptoir... rusé, le vieux loup... et lui demande d'un trait: "Thermostat. Dodge Caravan 1996..." Pour un 3 litres me demande-t-il du tac au tac... Sans même hésiter, je lui réponds que oui... le travail de préparation de la veille a porté fruits, je m'en félicite. Les heures de sommeil en moins auront été bénéfiques après tout... pendant qu'il entre les informations dans son ordinateur, je lui demande de me dire le prix avant de faire quoi que ce soit... Le gars y connaît son affaire, me félicitai-je. Il me confirme le prix, et précise le prix du gasket... je ne suis pas fier de moi, car ça faisait partie de mon vocabulaire testostéronien... gasket... j'aurais pu le sortir avant lui, j'aurais gagné beaucoup de points...

Il me remet l'arsenal et je peux enfin passer à la caisse... Ah! non! j'aurais dû y penser avant et m'apporter de l'argent comptant, ça paraît mal de payer avec sa carte de crédit... de l'argent tout froissé dans le fond de ma poche, c'est ce que ça m'aurait pris... et si j'avais eu de l'argent Canadian Tire par dessus le marché, ça aurait été impeccable. Mais il ne bronche pas un seul sourcils. Ma transaction est passée comme dans du beurre ou plutôt de l'huile. Il me demande si je veux un sac... j'hésite... c'est contre mes principes d'accepter les sacs dans les magasins, mais là, il ne faut pas que je trahisse ma véritable identité, je suis si près du but... J'accepte en me disant qu'au moins moi, je mettrai le sac à la récupération. Il me sourit, me remercie, et je suis libre de m'en aller.

Le soleil était toujours au rendez-vous lorsque j'ai remis les pieds dehors, comme pour acclamer ma délivrance. J'ai survécu et ai réussi ma mission... je me suis fait presque peur à moi-même. J'espère que cette expérience ne m'aura pas changé.

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