mercredi 9 décembre 2009

Neige

Il neige. Il a neigé. De l'autre côté de la fenêtre, je me suis vu à 4 ans, emmitouflé à ne plus savoir bouger, n'ayant que les yeux exposés à la bise et au frimas, aux grands vents et au verglas, aux rafales et aux flocons tout blancs, tout blancs.

Mon regard s'est perdu à maintes reprises ce soir à admirer cette valse cavalière qui cachait tout sous son voile dansant. Que j'aime l'hiver quand il est vraiment lui-même. C'est une histoire d'amour qui persiste et perdure, qui remonte à un si jeune âge qu'on ne peut même pas l'expliquer et à quoi bon y mettre des mots qui ne pourraient après tout que la raconter. Mais puisque je n’ai que les mots…

Sentiment de conquérant faisant affront au froid majestueux qui fige et qui glace. Et ce long foulard brun qui m'enrubannait presque des pieds à la tête, dans lequel je respirais et où mon souffle s'emprisonnait en une buée humide et « vaporisante » quand la course folle se terminait par un plongeon exutoire dans la congère amoncelée.

Et soudainement, il n'y avait que le silence. Le silence assourdissant de la neige immobile sous mon corps frêle et fragile, si léger et minuscule qu'il ne laissait pratiquement aucune marque dans la neige. Et ces bottes, brunes également, qui restaient parfois et souvent prisonnières quand ma jambe s'immergeait en entier dans l'immensité blanchie de ce tapis granuleux et étoilé. « Attendez-moi! Attendrez-moi! »... et on me laissait derrière, et je ne pleurais ni ne riais guère en me disant, tiens me voilà seul une autre fois. La solitude de l'hiver. Cette quasi obligation de se retourner en nous-mêmes quand la froidure frappe et que notre chair se contracte. Une introspection involontaire quand une armure épaisse nous coupe un peu plus du monde.

Et quand la noirceur commence à tomber, quand la neige semble à vue d’œil « s’engriser », et que les pas nous ramènent près de la chaumière maternante, quand la porte derrière nous se referme et que les joues sont rougies comme un brasier, quand surtout nos orteils et nos doigts picotent d'une engelure timide, quand la chaleur réconfortante du vestibule nous amène des odeurs du repas à venir et que les voix s'élèvent, car les enfants racontent les aventures nordiques dont les rumeurs reposent encore au bas de leurs pantalons en des galettes fondantes qui viendront bientôt humecter les gros chaussons de laine qui finiront dans le fond de la baignoire... Ah oui, vous ai-je dit que j'aime l'hiver?

Un frisson doucement passe, une secousse timidement frôle ma chair, assez pour faire clore mes yeux chastes qu'on n'a pas regardés pendant tout l'hiver... qui ne fait que commencer et pourtant… un frisson doucement a passé et mes yeux sont restés, sont restés fermés. Pour ne pas voir ce qui pourrait m'empêcher d'imaginer. Un sourire se fixe et les lèvres se sont séparées, mais elles se reparleront sans rancoeur aucune, elles attendront la prochaine clarté, la prochaine moiteur, écueil des baisers, vaine promesse s’il en est une. La musique cesse, mais résonne encore, un écho sans reste et pourtant elle a cessé, cette musique qu'on laisse, qu'on laisse nous murmurer à la lune pleine, cette douce rumeur qui derrière mes mots s'est enlisée, à la lecture même mène cette voix madrilène.

Si de ma fenêtre, je pouvais m'échapper, tomberais-je à la renverse ou serai-je allégé? Je tourne la tête et on me la fait tourner. Une porte entrouverte n'est pas à moitié fermée. Le soleil a revêtu sa mante grise, épaisse et vaporeuse... celle qu'il porte pour les grandes occasions, pour les moments heureux, et les filles heureuses. Ma main au fond de ma poche se terre et oublie sa comparse qui a les doigts froids, et lui laisse le labeur de dire, de dire à celle qu'elle ne voit pas, où est ton printemps qui quelques heures à peine brillait sous ton ciel qui est pourtant de mon côté le même? Ici, l'hiver persiste et je me sens seul, mais triste n'est pas mon coeur depuis que je sais qu’un cœur froid ne court plus de risques. Dis-moi, de ton printemps en as-tu au moins gardé un peu de tiédeur et ce qui traîne dans son sillage, l'as-tu recueilli ce bonheur? De ce jour, j'en ai gardé le plus tendre des souvenirs, oui je sais, je tremble et n'ai rien contre quoi me blottir, mais l'air est frais et me berce et soupire presque une caresse qui me tente et m'attire.

Oui, je sais, cet écrit d'autrefois porte en son sein la langueur d'un seul homme, l'homme que j'étais et qui s'est, entre autres, avoué aimé, mais qui fut soudainement, comme plusieurs avant moi, seul à le dire, à le croire, à le clamer. Tristesse profonde ou insouciance égarée, de ces années trop longues, je me suis consumé. Mon esprit s'est fait confident du coeur, et le corps à moitié oublié. J'ai peiné, oui, j'avoue et en fut épargné, comme tout homme qui passe, à vingt ans, j'ai aimé, à nouveau une impasse et j'ai cru y rester. Romantique dans l'âme, j'ai appris ma leçon, on apprend de ses drames même si parfois long est le souvenir d'une femme, ou même celui d’une simple chanson.

Pardonnez-moi, c’est ce que me fait l’hiver… c’est ce que l’hiver me fait… Pardonnez cette poésie soudaine et spontanée, poésie naïve et presque niaise, poésie qui n’est pas digne du terme, mais poésie quand même. J’espère qu’elle ne vous aura pas ennuyés, j’espère qu’elle ne vous ennuiera pas. Il est vrai que de la lire n’est pas une obligation, ne devrait pas l’être, tout comme le geste et l’intention d’écrire, car il ne faut jamais forcer les mots, que ce soit ceux qu’on reçoit ou ceux qu’on donne, il ne faut jamais forcer les mots. Ils viennent au moment opportun et s’ils ne viennent pas, c’est qu’ils ne devaient pas venir et que le silence est dans ces circonstances le meilleur allié de ce qui reste inavoué.

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