mercredi 13 janvier 2010

Spasme

Les mots sont-ils vraiment de circonstance? À quoi bon écrire ce soir de l'autre côté du monde? Vos yeux ont-ils au moins la patience de lire? Se sont-ils fermés depuis que la nuit a passé?
Rien ne sert de se taire. Rien ne sert de retenir son souffle puisque la vie malgré tout continuera. Malgré nous. Envers et contre tous. Et ce soir, dans la pénombre qui n'en est pas vraiment une, les mots ne seront ni en vers ni contre tous.
Les secousses se sont rendues jusqu'ici. Jusque sous la peau. Des frémissements au revers de la chair. Comme si mon corps involontairement faisait écho à la tragédie du monde. L'esprit s'embrouille dans le fracas des pensées qui fomentent la colère dans une incompréhension soumise à la fatalité des choses et surtout des hommes.
Chaque membre se meut dans une inutilité sans borne, mais le mouvement même silencieux se rend à l'évidence et n'en revient jamais.
L'impuissance paralyse, mais je resterai vivant. De tous ceux qui sont morts, j'en resterai vivant.
Comment pourrais-je avoir la prétention de vous parler de moi lorsque je ne suis plus tout à fait blanc depuis la nuit dernière? Depuis cette dernière nuit. Pour certains. Mais pourtant, il le faut. Il nous faut nous parler de nous. Il nous faut perpétuer cette vie qui reste, celle qui continue et qui se relaiera s'il le faut pour rester elle-même.
Je vous parlerai donc. Je vous parlerai de moi. Je vous parlerai. Avec des mots, soit, mais je vous parlerai quand même. La parole la plus douce n'a pas besoin de voix pour se faire comprendre.
Et comme à chaque fois, la musique supporte la trame des jours, même les plus noirs. Surtout les plus noirs. Celle que l’on m’offre comme celle qui s’offre à moi sans que je n’aie besoin de la séduire au préalable. La musique est la meilleure des maîtresses, même si les couvertures restent froides à son passage. Si la musique n’existait pas, je voudrais ne pas exister avec elle.
Les jours ont passé. À ce qu’il paraît. Mais je suis resté. Ici. Quelque part. Ailleurs. Je suis resté fidèle. À moi-même. Puisqu’il me semble que plus personne ne mérite ma confiance. Il n’y a que la vieille dame et son vieil homme à qui ma confiance est aveuglément offerte. Mais je ne sais que trop qu’ils me quittent à vue d’œil et que tôt ou tard, un frisson doucement passera sous ma peau. Pour de bon. Je crains ce moment depuis des lunes, depuis que je sais qu’ils ne m’ont pas mis au monde. Je serai alors seul comme je l’ai probablement toujours été, mais je serai seul sans eux. Je serre donc les poings et passe chaque moment, chaque instant avec eux comme s’ils étaient les derniers. Mais je sais très bien que tous ces deuils que je vis à chaque fois que je referme la porte derrière moi ne pourront jamais se comparer à ce qui m’attend. Je sais aussi que l’on n’est jamais prêt. Mais, j’attends.
Il a fait froid aujourd’hui. La terre a tremblé et je grelotte encore. On n’est jamais prêt. Et pourtant si près.
La nuit semble trop sombre pour être noire.
J’irai dormir tout à l’heure.
Mais avant, il me faut me convaincre que je n’ai pas sommeil et que la solitude du vide qui me sépare de l’édredon n’a pas au moins ce goût de poussière ni l’odeur de la cendre qui s’enfonce dans la gorge lorsqu’on désire plus que tout au monde qu’il y ait une autre nuit. Ou du moins une autre poussière.
Je dormirai tout à l’heure même si je ne pourrai plus jamais fermer l’œil. Car n’avons-nous pas tous une poussière dans l’œil lorsqu’on sait voir les choses en face?
Allez, dormez sur vos deux oreilles, pendant que je rêverai de dunes sous les paupières.
Il se fera trop tard, et je me consolerai en pensant que l’immobilisme n’a plus de véritable emprise dans la chute, puissiez-vous donc m’accordez la prochaine danse?

jeudi 17 décembre 2009

Blanche foncée

La nuit est blanche si on sait la regarder de près.

La nuit est pâle comme si elle était prise d'une torpeur encore plus effrayante que toutes celles qu'elle inspire.

La nuit est sans couleur presque diaphane, on la distingue sans plus, du premier coup d'oeil, on la blesse, mais elle reste blanche.

Peu importe le nombre de coups d'oeil qu'elle peut recevoir, le sang ne viendra jamais teinter sa pâleur intangible.

Elle reste donc immaculée sans que l'on sache vraiment pourquoi.

On demeure à ses côtés en espérant qu'elle tourne doucement au gris et qu'elle reprenne de dégradé en dégradé sa majesté d'ébène.

Mais la nuit est blanche même quand on ferme les yeux, elle est d'une blancheur attendrissante.

Et jamais le sommeil ne vient, on a depuis longtemps cessé de l'attendre, car la nuit est blanche, à quoi bon dormir si la nuit est blanche, il vaut mieux rester debout au risque de tomber, il vaut mieux se faire dévorer en entier par la fatigue que de ne pas remarquer que la nuit blanchit avec les heures.

Et on en vient à avoir peur du blanc, on en arrive à regretter le noir.

Pour tous ceux qui n'ont plus peur du noir, mais qui craignent maintenant le blanc à cause de la nuit, sachez que là où je suis, là où tout est musique, une blanche vaut deux noires...

mercredi 16 décembre 2009

Happy birthday

Il n’y a rien à faire, c’est sans cesse la même histoire, on ne peut plus rien y faire, car ce sera toujours cette même histoire…

Il faisait froid en cette soirée de décembre, il faisait très froid, mais entre ses jambes la douce chaleur de sa peau ne laissait jamais présager le pire, cette douce tiédeur qui reposait entre ses cuisses, cette douceur apaisante qu’on allait à jamais m’interdire, préparait le berceau d’une condamnation inachevée.

Il faisait noir en cette soirée de décembre, il faisait très noir puisque dans son ventre l’obscurité absolue régnait en maître et souverain, une noirceur immaculée protégeait cet antre blotti entre ses reins. Rien ne semblait prédire que tout allait s’achever.

Il se fit tard en cette soirée de décembre, il se fit trop tard, car dans l’attente, l’imprévisible douleur assécha le ventre, une douleur mouvante s’empara de cet antre qui laissait entrevoir pour la première fois une fissure qui allait m’achever.

Il faisait toujours très froid en cette soirée de décembre, il faisait de plus en plus froid puisque tout se mit à descendre vers ce refuge enceint par ses jambes, vers cette lumière meurtrière que je touchais pour la première fois de mes membres.

Il ne faisait plus tout à fait noir en cette soirée de décembre, il ne faisait plus seulement noir, car le monde m’accueillait au milieu de ses cendres comme une ruine encore frêle qui dans cette soudaine clarté ne sait que pleurer et tremble.

Il se fit alors à jamais trop tard en cette soirée de décembre, puisque la fin ne se faisait plus attendre, elle s’annonçait déjà à travers chaque respiration comme une longue agonie qui constamment risque de s’achever avec la saison.

C’est toujours la même histoire, celle qui se continue, il y aura bien d’autres soirées de décembre, encore davantage envahissantes, menacées par l’inconcevable, encore en proie à l’irrémédiable achèvement qui ne cesse de se faire de plus en plus pressant.

Et la suite des choses blesse et meurtrit, et ne laisse jamais sa victime sans un cri, au passage, elle écorche et le tumulte se fait vaste, tout près, elle s’approche assassine de ses seules mains chastes.

Vous me demanderez peut-être alors comme on l’a déjà fait, pourquoi je ne mets pas un terme à cette vie qui est mienne. Je pourrais vous répondre que c’est parce que j’aime, même si ce ne fut jamais réciproque. Je pourrais vous répondre que puisque la mort est certaine, le fait de choisir d’attendre qu’elle vienne est le même que d’adopter tous les gestes qui la provoque. Mais la véritable justification serait de vous dire que je ne considère pas l’intention volontaire de mourir principalement pour pouvoir vous prouver à la fin que c’est moi qui avais raison.

mardi 15 décembre 2009

Mâle à lame

J'ai pris quelques minutes de mon dîner pour sortir un peu de mon bureau et goûter à cette lumière revigorante... j'avais pour mission d'infiltrer cet antre de la testostérone à bon prix et j'ai bien sûr nommé Canadian Tire. Rien de moins.

Mon ami Denis m'avait fait une petite liste d'épicerie de choses à me procurer pour être en mesure de réparer la minifourgonnette cette semaine, et j'ai bien appris ma leçon.

Je ne devais surtout pas être démasqué. Je me devais d'agir comme un habitué, un vrai de vrai, un gars de "chawre" qui pisse deboutte sans se laver les mains après...

Je n'avais malheureusement pas eu le temps de revêtir un costume approprié, je n'avais que ma tenue habituelle, sobre, propre... tout devra être dans l'attitude.

En marchant dans le stationnement presque bondé, je jetai un dernier regard à ma liste afin d'en mémoriser chaque élément, je ne devais montrer aucune hésitation.

En m'approchant de la porte d'entrée, je me demandai quelle allure je devais prendre... devrais-je me traîner les pieds et renifler un bon coup à intervalles réguliers... pas le temps de réfléchir, les portes s'ouvrent automatiquement... Ah! la technologie, elle nous fera damner.

Denis m'avait expliqué où était chaque chose dans le magasin, donc sans hésiter, je bifurque à gauche aussitôt entré... des cannisses jaunes... des cannisses jaunes... mes yeux cherchent dans toutes les directions pendant que ma tête reste immobile pour ne pas attirer l'attention.

Le commis est loin derrière son comptoir, mais je sens que ses yeux sont posés sur moi. Il s'interroge. Ah! les cannisses jaunes! Euréka! Oups, je crois que je l'ai dit tout haut. C'est sûrement un mot que ces gens ne comprennent pas. Ils vont me suspecter, je le sens. Vite, faisons diversion... je cherche, je cherche... rien ne me vient... je me passe machinalement la main au visage... Ah! Non! Merde, je suis fraîchement rasé de la veille, rien pour m'aider. Nerveusement, je prends la première cannisse jaune qui me tombe sous la main et je me mets à lire l'étiquette à l'endos. C'est exactement ce que je cherche! Comme le hasard fait bien les choses.

Liquide refroidisseur maintenant. Rappelle-toi qu'ici, on appelle ça du Prestone. Par chance, ils classent les cannisses par couleur sur les tablettes, donc le "Prestone" était juste à côté. Deux 4 litres et le tour était joué... pas tout à fait, jeune homme, me dis-je. Il restait à réaliser le plus périlleux... c o m m a n d e r l e t h e r m o s t a t a u c o m p t o i r.

Je m'approche du commis en reluquant les articles sur les tablettes et faisant semblant de m'y intéresser. Il ne me regarde pas, bon signe. Très bon signe. Je dépose mon troupeau de contenants jaunes sur le comptoir avec aplomb et lui demande d'un ton un peu désintéressé: "Thermostat. Dodge Caravan 1996..." Je n'ai pas eu le temps de terminer ma phrase qu'il m'informe que je dois m'adresser au comptoir voisin pour commander des pièces... Erreur de débutant. J'ai presque honte, mais je me ressaisis en souriant et en mentionnant qu'il y avait belle lurette que je n'avais pas mis les pieds ici et qu'avant, ce n'était pas disposé de la même façon. Il m'avait l'air jeune. Probablement, pas encore né quand le magasin fut construit. Donc, anecdote plausible. Un piège d'évité.

Je me dirige donc à l'autre comptoir et attends le commis qui est occupé à servir une autre personne. J'attends nonchalamment, faisant quelques pas à gauche, puis quelques pas à droite... Je remarque tout à coup que mes bottes sont maculées de calcium... yes! j'ai l'air d'un vrai. J'y pense tout à coup, je suis généreusement garni de pilosité sur la poitrine, ça c'est winner du poil sur le chest... mais je me retiens, en me disant que d'enlever mon manteau et détacher ma chemise ne ferait pas très naturel après tout...

Du coin de l'oeil, j'aperçois furtivement tel un chat guettant une proie qui n'est pas prévue au menu, un tableau qui dit : "Nous servons le numéro 8". Ah! non! Il fallait prendre un numéro! Je suis coincé. Je viens encore de perdre en crédibilité... mais je me souviens que mon anecdote de tout à l'heure rachetait aussi cette bévue. Sans le savoir, j'avais créé une anecdote béton qui pouvait me sauver bien des vies. Mais restons sur nos gardes. On ne sait jamais.

Le commis revint enfin derrière son comptoir... un autre client était accoudé à l'autre extrémité... J'aurais dû y penser avant, l'accoudement au comptoir, un classique... je prends des notes pour la prochaine fois, si prochaine fois, il y a, car il n'est pas certain que je m'en sortirai vivant. Le commis me regarde et me demande quel numéro ai-je... le 13... par chance, je ne suis pas superstitieux... l'autre client possède le 12... Ça me donnera un peu de temps, pour répéter ma routine dans ma tête...

Sans que j'aie eu le temps de faire une répétition complète, le commis se tourne vers moi et m'interroge du regard... je m'accoude au comptoir... rusé, le vieux loup... et lui demande d'un trait: "Thermostat. Dodge Caravan 1996..." Pour un 3 litres me demande-t-il du tac au tac... Sans même hésiter, je lui réponds que oui... le travail de préparation de la veille a porté fruits, je m'en félicite. Les heures de sommeil en moins auront été bénéfiques après tout... pendant qu'il entre les informations dans son ordinateur, je lui demande de me dire le prix avant de faire quoi que ce soit... Le gars y connaît son affaire, me félicitai-je. Il me confirme le prix, et précise le prix du gasket... je ne suis pas fier de moi, car ça faisait partie de mon vocabulaire testostéronien... gasket... j'aurais pu le sortir avant lui, j'aurais gagné beaucoup de points...

Il me remet l'arsenal et je peux enfin passer à la caisse... Ah! non! j'aurais dû y penser avant et m'apporter de l'argent comptant, ça paraît mal de payer avec sa carte de crédit... de l'argent tout froissé dans le fond de ma poche, c'est ce que ça m'aurait pris... et si j'avais eu de l'argent Canadian Tire par dessus le marché, ça aurait été impeccable. Mais il ne bronche pas un seul sourcils. Ma transaction est passée comme dans du beurre ou plutôt de l'huile. Il me demande si je veux un sac... j'hésite... c'est contre mes principes d'accepter les sacs dans les magasins, mais là, il ne faut pas que je trahisse ma véritable identité, je suis si près du but... J'accepte en me disant qu'au moins moi, je mettrai le sac à la récupération. Il me sourit, me remercie, et je suis libre de m'en aller.

Le soleil était toujours au rendez-vous lorsque j'ai remis les pieds dehors, comme pour acclamer ma délivrance. J'ai survécu et ai réussi ma mission... je me suis fait presque peur à moi-même. J'espère que cette expérience ne m'aura pas changé.

dimanche 13 décembre 2009

Tentation passagère

La tentation est forte.

Elle se plaît parfois à me tenir la main dans un geste où l’insouciance n’est jamais très loin.

Oui, la tentation est forte.

Après avoir respiré la volupté dans la nuque de celle qui ne fut plus jamais là, après avoir cru que le regard posé sur le bord de mes lèvres n’allait se détourner que pour se perdre dans le clos des paupières au frémissement d’un soupir expiré dans le froissement de la chair, après avoir dormi sans crainte et sans véritable remord dans la tiédeur d’une étreinte comme doivent dormir les morts au dernier repos d’une longue vie qu’on dira pourtant trop courte pour être brève, la tentation est forte, très forte même est la tentation de rester seul.

Tout seul.

De prime abord pour m’éloigner de la déception et de ses éternels complices qui rôdent sans cesse et sans répit, avec amertume pendant le jour et à regret quand vient la nuit.

Puis et surtout pour sentir cette douceur réconfortante de me savoir vécu et de me retrouver comme une vieille connaissance qu’on n’a jamais vraiment perdue de vue, et avoir tout à me dire, de balivernes en confidences en passant par les éclats de rire et le respect de chaque silence.

Mais la tentation est forte. Quand les femmes passent et qu’il n’y a plus rien qui tienne, quand elles nous désarment et que de chacune d’elles on voudrait faire sienne, il est vrai que la tentation est forte.

Mais encore plus forte est la tentation quand une seule femme passe et qu’on semble redécouvrir le monde et la vie qui le retient, quand le désir n’est plus un souhait, mais une évidence irréfutable, quand notre envie de rester seul est de le rester avec elle.

Encore plus forte est la tentation quand elle n’a plus à se plaire de nous tenir la main, au moment où une seule femme passe.

samedi 12 décembre 2009

En vin

Le goût du vin.

Le goût du vin me fait taire.

Mes lèvres abreuvées n'ont d'autres intérêts que de savourer la langueur de l'écoulement qui s'ébruite au bord de la bouche et qui déferle entre les dents, tout le long de la langue et jusqu'au fond de la gorge et encore.

Une seule lampée et le silence perdure des moments durant.

Une seule gorgée et le souvenir de sa trop courte existence se fait insistant jusqu'à la prochaine qui vient toujours un peu trop tard.

Je tente de retenir entre mes joues ce breuvage qui m'attire et m'attise, mais à chaque fois, j'avale toujours avec un certain regret de ne pas avoir su en extraire tout le plaisir et la douceur qui semblent pourtant infinis.

Et plus le silence persiste, et plus l'ivresse se propage, doucement, comme une caresse qu'on incruste dans la peau pour en garder la plus étoffée des impressions.

Mais malgré l'enivrement de tous les sens, l'inassouvissement semble imperturbable et insatiable.

Je bois donc encore.

Mais la quiétude des mots ne prend plus assise sur cet appétit éthylique qui vient souvent en buvant. La verve s'éprend du verbe et la langue entremêlée à travers les vapeurs impures de l'alcool se délie en rumeurs et en confidences.

Et je m'épanche vers des oreilles attentives, désinhibées par le flot venant de la même bouteille. Je me raconte et découvre ce que l'on me dit en retour. Et la pensée se fait chair, et chaque syllabe dissimule derrière ses sonorités le désir des chastes et l'envie des gourmands.

Le goût du vin frais à mes lèvres regrette celui des siennes que je contemple lorsque le silence vient aux miennes.

Mes mains déposées sur la table seraient prêtes à ne plus jamais toucher si elles pouvaient, ne serait-ce qu'une seule et même fois, étreindre le galbe de ses seins ou la courbe de ses hanches déferlantes en va-et-vient que je suivrais d'un mouvement oscillatoire jusqu'à ce qu'elle soit immobile entre mes bras, éperdue de nos égarements.

Mais la bouteille est vidée. Et mes doigts sont froids à ne plus savoir bouger. Une dernière parole et des adieux s'accrochent presque aux derniers mots. Elle quitte et ne revient pas. De ses yeux bleus, j'en garderai la pureté. De ses cheveux blonds, j'en regretterai les parfums. Malgré qu'elles ne soient jamais vraiment à chaque fois la même, j'aurai toujours le goût du vin qui me rappellera ce qu'elles auraient pu être si tout ça n'avait pas été en vain.

mercredi 9 décembre 2009

Neige

Il neige. Il a neigé. De l'autre côté de la fenêtre, je me suis vu à 4 ans, emmitouflé à ne plus savoir bouger, n'ayant que les yeux exposés à la bise et au frimas, aux grands vents et au verglas, aux rafales et aux flocons tout blancs, tout blancs.

Mon regard s'est perdu à maintes reprises ce soir à admirer cette valse cavalière qui cachait tout sous son voile dansant. Que j'aime l'hiver quand il est vraiment lui-même. C'est une histoire d'amour qui persiste et perdure, qui remonte à un si jeune âge qu'on ne peut même pas l'expliquer et à quoi bon y mettre des mots qui ne pourraient après tout que la raconter. Mais puisque je n’ai que les mots…

Sentiment de conquérant faisant affront au froid majestueux qui fige et qui glace. Et ce long foulard brun qui m'enrubannait presque des pieds à la tête, dans lequel je respirais et où mon souffle s'emprisonnait en une buée humide et « vaporisante » quand la course folle se terminait par un plongeon exutoire dans la congère amoncelée.

Et soudainement, il n'y avait que le silence. Le silence assourdissant de la neige immobile sous mon corps frêle et fragile, si léger et minuscule qu'il ne laissait pratiquement aucune marque dans la neige. Et ces bottes, brunes également, qui restaient parfois et souvent prisonnières quand ma jambe s'immergeait en entier dans l'immensité blanchie de ce tapis granuleux et étoilé. « Attendez-moi! Attendrez-moi! »... et on me laissait derrière, et je ne pleurais ni ne riais guère en me disant, tiens me voilà seul une autre fois. La solitude de l'hiver. Cette quasi obligation de se retourner en nous-mêmes quand la froidure frappe et que notre chair se contracte. Une introspection involontaire quand une armure épaisse nous coupe un peu plus du monde.

Et quand la noirceur commence à tomber, quand la neige semble à vue d’œil « s’engriser », et que les pas nous ramènent près de la chaumière maternante, quand la porte derrière nous se referme et que les joues sont rougies comme un brasier, quand surtout nos orteils et nos doigts picotent d'une engelure timide, quand la chaleur réconfortante du vestibule nous amène des odeurs du repas à venir et que les voix s'élèvent, car les enfants racontent les aventures nordiques dont les rumeurs reposent encore au bas de leurs pantalons en des galettes fondantes qui viendront bientôt humecter les gros chaussons de laine qui finiront dans le fond de la baignoire... Ah oui, vous ai-je dit que j'aime l'hiver?

Un frisson doucement passe, une secousse timidement frôle ma chair, assez pour faire clore mes yeux chastes qu'on n'a pas regardés pendant tout l'hiver... qui ne fait que commencer et pourtant… un frisson doucement a passé et mes yeux sont restés, sont restés fermés. Pour ne pas voir ce qui pourrait m'empêcher d'imaginer. Un sourire se fixe et les lèvres se sont séparées, mais elles se reparleront sans rancoeur aucune, elles attendront la prochaine clarté, la prochaine moiteur, écueil des baisers, vaine promesse s’il en est une. La musique cesse, mais résonne encore, un écho sans reste et pourtant elle a cessé, cette musique qu'on laisse, qu'on laisse nous murmurer à la lune pleine, cette douce rumeur qui derrière mes mots s'est enlisée, à la lecture même mène cette voix madrilène.

Si de ma fenêtre, je pouvais m'échapper, tomberais-je à la renverse ou serai-je allégé? Je tourne la tête et on me la fait tourner. Une porte entrouverte n'est pas à moitié fermée. Le soleil a revêtu sa mante grise, épaisse et vaporeuse... celle qu'il porte pour les grandes occasions, pour les moments heureux, et les filles heureuses. Ma main au fond de ma poche se terre et oublie sa comparse qui a les doigts froids, et lui laisse le labeur de dire, de dire à celle qu'elle ne voit pas, où est ton printemps qui quelques heures à peine brillait sous ton ciel qui est pourtant de mon côté le même? Ici, l'hiver persiste et je me sens seul, mais triste n'est pas mon coeur depuis que je sais qu’un cœur froid ne court plus de risques. Dis-moi, de ton printemps en as-tu au moins gardé un peu de tiédeur et ce qui traîne dans son sillage, l'as-tu recueilli ce bonheur? De ce jour, j'en ai gardé le plus tendre des souvenirs, oui je sais, je tremble et n'ai rien contre quoi me blottir, mais l'air est frais et me berce et soupire presque une caresse qui me tente et m'attire.

Oui, je sais, cet écrit d'autrefois porte en son sein la langueur d'un seul homme, l'homme que j'étais et qui s'est, entre autres, avoué aimé, mais qui fut soudainement, comme plusieurs avant moi, seul à le dire, à le croire, à le clamer. Tristesse profonde ou insouciance égarée, de ces années trop longues, je me suis consumé. Mon esprit s'est fait confident du coeur, et le corps à moitié oublié. J'ai peiné, oui, j'avoue et en fut épargné, comme tout homme qui passe, à vingt ans, j'ai aimé, à nouveau une impasse et j'ai cru y rester. Romantique dans l'âme, j'ai appris ma leçon, on apprend de ses drames même si parfois long est le souvenir d'une femme, ou même celui d’une simple chanson.

Pardonnez-moi, c’est ce que me fait l’hiver… c’est ce que l’hiver me fait… Pardonnez cette poésie soudaine et spontanée, poésie naïve et presque niaise, poésie qui n’est pas digne du terme, mais poésie quand même. J’espère qu’elle ne vous aura pas ennuyés, j’espère qu’elle ne vous ennuiera pas. Il est vrai que de la lire n’est pas une obligation, ne devrait pas l’être, tout comme le geste et l’intention d’écrire, car il ne faut jamais forcer les mots, que ce soit ceux qu’on reçoit ou ceux qu’on donne, il ne faut jamais forcer les mots. Ils viennent au moment opportun et s’ils ne viennent pas, c’est qu’ils ne devaient pas venir et que le silence est dans ces circonstances le meilleur allié de ce qui reste inavoué.
 
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